Harry 25/02/2010

Article d'Al Senter publié dans l'hebdomadaire anglais The Stage daté du 25 février 2010.

Ratant un rôle dans Harry Potter alors qu'il était adolescent, Harry Lloyd a décidé de ne pas aller dans une école d'art dramatique et, à la place, il a choisi d'étudier l'Anglais à Oxford. Il raconte à Al Senter en quoi son apprentissage diffère de celui de ses partenaires Rupert Friend et Gemma Arterton, avec qui il partage l'affiche de la production du West End, The Little Dog Laughed.

Ce n'est pas souvent qu'il est offert à votre humble serviteur une tasse de thé, et ce, personnellement par une des stars montantes du théâtre britannique. Mais l'aimable Harry Lloyd, actuellement en haut de l'affiche dans The Little Dog Laughed, satire cinglante du showbiz, sort de sa spacieuse loge du Garrick [théâtre] et revient, quelques instants plus tard, avec le breuvage fumant, plus de délicieux macarons fait maison, gentillement apportés par la costumière. Qui a besoin d'un petit-déjeuner énergisant au Wolseley [grand café-restaurant de Londres] quand un tel thé est offert chez Harry ?

Lloyd, un beau jeune homme de 26 ans à l'air enfantin, est probablement mieux connu du grand public en tant que Will Scarlett dans les deux premières saisons du récent Robin des Bois de la BBC et il est toujours en contact avec ses amis de Sherwood:"Petit Jean vient juste de m'envoyer un message en fait." Mais il a aussi attiré l'attention au théâtre avec des rôles dans Ghosts [Les Revenants] à l'Arcola et The Sea d'Edward Bond au Haymarket. Plus révélateur encore, il a fait une excellente performance dans le rôle de Rodolfo dans la récente reprise de A View From the Bridge, réglant son compte à l'agonisant Eddie Carbone de Ken Stott et par conséquent le bénéficiaire des baisers ironiques de Stott. Maintenant Lloyd, dans le rôle d'Alex, un jeune prostitué dans The Little Dog Laughed, partage pendant plusieurs mois plusieurs moments bouche contre bouche avec son partenaire Rupert Friend. Cela pourrait-il être une coïncidence?

"J'ai demandé à Rupert s'il avait déjà eu à embrasser un autre homme professionnellement avant moi et il m'a dit oui, Johnny Depp dans Rochester, le dernier des libertins. Deuxième derrière Johnny Depp. C'est pas si mal."
A part cela, la formation de Lloyd est plutôt prestigieuse.

S'il y avait encore des acteurs gentilhommes pour exercer ce métier alors Lloyd, un ancien étonien [élève du prestigieux collège d'Eton] avec un diplôme d'Anglais d'Oxford, semblerait parfaitement rentrer dans le moule. Il a également des liens de parentés éloignés avec Charles Dickens et a sans doute hérité de ses gênes pour raconter des histoires. Les parents de Lloyd sont tous les deux dans l'édition et on peut donc imaginer une enfance pleine de livres avec de fréquentes visites au théâtre, où le jeune Lloyd a pour la première fois rêvé de monter sur scène.

"Je n'ai pas un souvenir d'enfance spécial d'une production particulière, mais je sais que je voulais être acteur depuis l'âge de huit ans," explique Lloyd. "J'ai été pour la première fois conscient de ça à l'école primaire quand l'instituteur nous a vraiment auditionné pour une pièce. Il nous a demandé de dire une ligne et de montrer quel mot devait être accentué. J'ai instinctivement su comment le faire et j'ai eu le rôle."

Avec un certain ancien élève de l'école primaire Slough Comprehensive [école primaire privée avant le collège d'Eton] qui va probablement devenir le prochain premier ministre [il s'agit de David Cameron, chef du parti conservateur, qui arrivera effectivement au pouvoir en mai 2010], les anciens étoniens font également des vagues au théâtre, notamment Damian Lewis, Eddie Redmayne et Tom Hiddleston. Lloyd est un autre bénéficiaire de ce qui semble être une scène florissante sur les rives de la Tamise – moins de jeux sur le terrain et plus de pièces de théâtre sur scène à Eton.
"Au début, je n'ai dit à personne que je voulais devenir acteur. Je pensais que c'était juste un rêve d'enfant, mais les professeurs à Eton ont été très encourageants. Je pense toujours au fait de jouer d'une façon très enfantine. J'aime le fait de s'amuser dedans. Ce n'est pas une coïncidence si nous appelons ce que nous faisons une pièce [le mot anglais play désigne à la fois une pièce de théâtre et le verbe jouer] et j'aime le côté ludique du fait de jouer."

Vu les liens de sa famille, c'était approprié que Lloyd fasse ses débuts professionnels dans une adaptation de David Copperfield alors qu'il est toujours à Eton. Il reste dans le même milieu en jouant un rôle secondaire dans le téléfilm Goodbye, Mr Chips avec Martin Clunes et il a raté de justesse un rôle au cinéma dans Harry Potter. Il a peut être perdu Poudlard, mais à l'âge de 17 ans, il a gagné un agent et il était en train de tracer sa route.

De façon significative, le choix suivant de Lloyd fut Oxford et un diplôme d'Anglais plutôt qu'une évidente école d'art dramatique. A-t-il déjà regretté sa décision ?

"Ça m'a pris beaucoup de temps pour accepter le fait que je n'avais pas été dans une école d'art dramatique," dit-il. "Sur Robin des Bois, j'étais constamment terrifié d'être peut-être renvoyé à cause de mon manque de formation, mais il semble que j'ai appris le boulot en le faisant. A un moment, j'ai dû prendre une décision. J'ai senti que, dans mon arrogance, que si j'allais dans une école d'art dramatique, je serais catalogué dans le genre de rôle qui serait le reflet de mes propres origines. Je suis très heureux d'avoir interprété une si grande variété de rôles sur scène – un Italien, un Norvégien et maintenant un Américain. Quelqu'un m'a demandé l'autre jour si je jouerais à nouveau un Anglais un jour."

Alors qu'il ne dissimule plus son passé d'étonien, l'accent de Lloyd est étrangement normal. "Avant j'étais un peu paranoïaque à propos de l'école," confesse-t-il. "Je ne voulais pas trop être catalogué comme l'ancien étonien et pourtant je ne pouvais pas déconner pour expliquer que je n'étais pas ce que les gens pensaient que j'étais. Dans un sens, Oxford était le prolongement d'Eton et je pense qu'une partie de ma décision a été motivée par la peur – la peur de ne pas être prêt pour le monde extérieur. De façon ironique, quand je compare mon CV à ce que Gemma [Arterton] et Rupert [Friend] ont fait, eux qui ont tous les deux fait une école d'art dramatique, je découvre que j'ai beaucoup plus d'expérience théâtrale qu'eux.

"J'aime bien être testé et bousculé intellectuellement." Et pour son charme tout débraillé et son air vaguement étudié, il y a clairement un esprit analytique au travail, surtout quand il s'agit de préparation.

"Avant de répéter The Little Dog Laughed, je suis parti à New York et rencontré un gars qui, comme Alex, gagne sa vie comme prostitué pour un petit groupe de 10-12 clients. J'ai discuté avec lui de son travail, qui semble autant écouter l'autre que faire l'amour. Les gens comme Alex ne sont pas bizarres – ils ont des raisons valables pour agir de cette façon. J'ai eu une vie très confortable, de classe moyenne et je veux jouer des gens qui sont plus intéressant que je ne le suis. Alex survit en souriant. Je n'ai jamais joué un personnage qui soit si détendu et je ne me suis jamais senti aussi détendu sur scène."

Lorsque The Little Dog Laughed aura fini ses représentations au Garrick en avril, Lloyd devrait savoir si le pilot qu'il a tourné l'année dernière du projet de fantasy le Trône de Fer (Game of Thrones) pour HBO aura le droit à une série. Si c'est le cas, il passera une grande partie de l'année 2010 à tourner au Maroc et ensuite, selon la réaction du public, la célébrité pourrait bien s'ouvrir à lui. Mais Lloyd est plus réservé notamment sur le prix à payer quand on est célèbre.

"Je ne veux pas devenir un objet public," dit-il. "Dans un sens, je suis heureux de ne pas avoir fini dans un film Harry Potter à l'âge de 15 ans, cela m'aurait donné un piédestal dont la seule issue serait la chute. Les gens qui s'occupent d'un site non-officiel sur moi n'ont aucun lien avec moi et ce qu'ils voient, est ce qui a été déjà filtré par les médias. Les gens que vous rencontrez à la sortie du théâtre tous les soirs, aucun d'entre eux ne me connaît vraiment."

Cependant, malgré toutes ses protestations, Lloyd a engagé un publiciste. Il est assez futé pour réaliser qu'il a besoin de l'aide d'un professionnel – peut-être moins pour bâtir son profil, que pour le préparer à ce qui pourrait l'attendre.

"Je suis maintenant arrivé au point où vous commencez à faire des choses pour lesquelles vous n'avez jamais été préparé," dit-il. "J'ai senti que j'avais besoin d'apprendre comment faire une séance photo et donner une interview. Sachant quel genre de casting haut de gamme je rejoignais pour The Little Dog Laughed, je ne voulais pas me retrouver dans une situation genre '... et Harry Lloyd'. Vous ne voulez pas refuser d'admettre comment cette partie du business fonctionne."

Lloyd est un membre de cette jeune génération d'acteur qui est maintenant sous un large radar, toujours flottant autour de Soho [quartier de Londres avec des théâtres plus « confidentiels » que ceux du West End proche] et disponible pour apparaître au lancement ou à la première [de leur spectacle]. Il est en train de tremper un orteil dans les eaux troubles de la publicité.

"Je ne suis pas un fan des boîtes de nuit et je préfère les lieux où l'on peut discuter. J'ai décidé d'aller aux évènements où j'ai une bonne raison d'aller. J'ai été à des cérémonies de récompenses étranges, j'étais assis tout au fond, me sentant comme un imposteur, me demandant ce que je faisais là. Plus jamais."

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