David 05/08/2009

Interview réalisée par Matthew Amer pour le Official London Theatre Guide publiée le mercredi 5 août 2009.

Si j'avais été dans la position de David Harewood, j'aurais sûrement pris mes jambes à mon cou devant The Mountaintop avant que quelqu'un ait eu le temps de dire “I have a dream”, écrit Matthew Amer.

Je n'aurais peut-être pas été jusqu'à lire le script d'une pièce qui allait être mis en scène dans un petit théâtre d'avant-garde de Londres. Si j'étais Harewood, j'aurais probablement arrêté quand j'aurais réalisé que le personnage que je pourrais jouer était l'homme dont j'avais entendu la voix quand, pendant mes premières années d'acteur, j'avais souffert de dépression.

Mais je ne suis pas David Harewood, et David Harewood n'est pas moi; heureusement sinon cette interview aurait été plutôt étrange. Harewood, qui a fait face non seulement à la proposition de jouer l'un des homme les plus influent de l'histoire du monde, mais aussi un fantôme de son passé, a accepté de relever le défi.

Sa décision de jouer Martin Luther King dans The Mountaintop, un récit imaginaire de la dernière soirée du militant des droits civiques, passée dans une chambre d'hôtel avec une femme de chambre, n'a pas été prise sans avoir surmonté de sérieux doutes.

Il fallait, il admet, un script exceptionnel pour attirer Harewood, qui est plus connu pour jouer sur les scènes les plus prestigieuses du pays et dans les séries télévisées les plus pointues, au Theatre 503, lieu avant gardiste de Battersea [quartier de Londres]. Quand il a lu la pièce sur son iPhone lors de son voyage vers Cardiff pour tourner Doctor Who, il a réalisé que c'était exactement ça qu'il avait entre les mains.

Il avait des doutes sur le metteur en scène de 25 ans James Dacre et si, avec seulement un quart de siècle d'expérience de vie, il serait capable de créer une production sensationnelle.

Il s'est demandé s'il était judicieux ou non d'ouvrir la porte à un passé longtemps enfermé.

C'était une heureuse coïncidence qui a penché en faveur d'accepter la pièce, qui par la suite a rencontré un grand succès au Theatre 503 ce qui a permis son transfert au Trafalgar Studio 1 à West End [partie de Londres qui regroupe la majorité des théâtres], où elle se joue actuellement: “Je prenais un train pour rentrer chez moi, je me suis assis en pensant ‘Qu'est-ce que je vais faire ?’ Une femme est montée dans le train et dans son sac elle avait un paquet de Pall Malls [la marque de cigarette que fume King tout au long de la pièce]. J'ai juste pensé que c'était absolument extraordinaire. C'était presque comme s'il me disait ‘Vas-y, tu dois le faire.’”

En seulement trois semaines Harewood et sa partenaire Lorraine Burroughs ont répété le spectacle, Harewood attendant jusqu'aux derniers jours pour trouver le bon ton pour imiter le timbre de King. “Je l'ai dit dès le départ,” explique-t-il, “que cela allait être une exploration du personnage plutôt qu'une imitation du personnage.”

C'est donc une exploration, mais pour beaucoup de spectateurs ce ne sera pas le Martin Luther King qu'ils attendaient. Ce King peut être captivant et charmeur avec son discours, même quand il ne fait rien d'autre que commander un café, mais au fur et à mesure de la soirée ses peurs, sa paranoïa et son côté insolent se découvrent. “C'est l'une des choses les plus difficile pour moi,” dit Harewood, “jouer avec Martin Luther King, parce que dans chaque morceau de film où je le vois il est ou sous pression ou en train de faire un discours; il est terriblement sérieux. Le matin de son assassinat il a fait une bataille de polochons avec ses assistants ce qui est extraordinaire. Vous ne comprenez jamais vraiment les choses que vous voyez de Martin Luther King si ce n'est que c'est un homme qui aimait les bonnes blagues.”

Ce n'était pas une blague quand Harewood a entendu la voix de King lorsqu'il avait une vingtaine d'années. Fraîchement sorti de la RADA [Académie Royale d'Art Dramatique], le succès, la surcharge de travail, le stéréotype racial et l'attention des médias ont causé une dépression pendant laquelle le jeune acteur s'est réfugié dans un monde imaginaire. Il s'est retrouvé dans le métro ou les bus sans savoir comment il était arrivé là. Harewood, avec quelques décades de plus, est maintenant philosophe à propos de cet épisode: “Si vous avez un démon en vous, il pourrait aussi bien être le diable.[King] me faisait avancer.”

La préparation pour The Mountaintop aura été la première fois qu'Harewood a eu l'opportunité d'utiliser le site internet de partage de vidéos You Tube pour préparer un rôle – “Vous avez des tonnes d'images” – alors qu'il venait de terminer de jouer un autre leader charismatique, Nelson Mandela, dans un nouveau téléfilm Mrs Mandela, sa première tentative d'interprétation d'un personnage réel.

“Comme 60% de la population, je pense que je suis pour le mouvement des années 90 Libérer Mandela sans totalement comprendre ce qu'il a fait,” admet Harewood. N'ayant jamais été un grand fan de livres, il s'est retrouvé dans une situation totalement surprenante pour lui pour préparer son rôle: “Je me levais et lisais, me couchais en lisant, lisais sur les plateaux de tournage, lisais dans les pubs, lisais au restaurant. C'était une vraie leçon d'histoire; tout le mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud, la naissance de l'ANC [parti politique sud-africain notamment pour les droits des populations noires qui a lutté par la violence pour la fin de l'Apartheid], ce qu'était l'Apartheid [politique ségrégationniste qui est mise en place en Afrique du Sud de 1948 à 1994 concentrant tous les pouvoirs et richesses dans les mains des blancs et faisant des noirs des citoyens de 'seconde zone', cette politique repose sur l'idée que les blancs seraient supérieurs aux noirs], la naissance de l'Afrique du Sud, le rôle de la Grande-Bretagne en Afrique du Sud et en Rhodésie [ancienne colonie britannique, aujourd'hui le Zimbabwe, la Zambie et le Malawi]… C'était extraordinaire.”

Le natif de Birmingham Harewood n'est pas le seul à utiliser You Tube pour ses recherches. Si vous faites des recherches sur lui sur internet, vous tomberez rapidement sur une vidéo de lui se préparant à donner ses cellules souches pour une personne atteinte de leucémie. Pas grand chose se passe dans la vidéo - il parle beaucoup des injections destinées à stimuler la production de cellules pour le don - mais c'est profondément touchant à voir.

“Pendant trois ou quatre ans je suis allé aux manifestations de la Afro-Caribbean Leukaemia Trust [ACTL, fondation pour lutter contre la leucémie touchant les populations afro-caribéennes qui organise nombreux événements pour informer et récolter des fonds et surtout incite ces populations à donner leur moelle osseuse et leur sang], et soudain j'ai réalisé que je m'y étais intéressé pour la publicité et autres mais je ne m'étais pas inscrit sur le registre.”

Deux ans après avoir rejoint le registre des donneurs, il a reçu un appel. “C'était comme gagner à la loterie, apprendre que j'étais compatible avec cet homme. Je ne savais pas qui il était, je ne savais pas où il était, dans quel pays il était, mais je savais juste qu'il était extrêmement malade, qu'il était atteint de leucémie, qu'il allait probablement mourir et que mes cellules souches pouvaient être compatible.

“Trois mois plus tard j'ai reçu une lettre disant ‘Nous voulons juste vous remercier parce que vous êtes la personne qui lui a permis de s'en sortir.’ Ce n'est pas extraordinaire ? Mon sang, mes cellules souches implantées en lui, se sont greffées et il va maintenant mieux. Je pense juste que c'est une chose magnifique à faire à un complet étranger.

“Ce qui était extraordinaire, c'était l'infirmière qui s'est occupée de moi à l'hôpital qui m'a dit que j'étais le premier patient noir sur lequel elle faisait cette procédure depuis cinq ans. Cela vous donne une idée sur le nombre de noirs inscrits sur le registre et vos chances de trouver un donneur si vous avez cette terrible maladie [la greffe ne peut se faire qu'avec des personnes proche de vous génétiquement notamment au niveau racial].”

La verve et l'excitation dans sa voix quand il parle de The Mountaintop, de Mrs Mandela et de son engagement avec l'ACLT disparaît rapidement quand on aborde Robin des Bois. Harewood est arrivé dans la série familiale de la BBC au début de la dernière saison dans une nouvelle version de Frère Tuck, mais on sent qu'il est désappointé devant cette opportunité gâchée: “J'ai eu un épisode d'introduction fantastique où j'arrivais par bateau; c'était très bien écrit. Ensuite le personnage a en quelque sorte disparu. C'était très frustrant d'être caché au fond de la scène pendant des semaines.”

Avec la mort de Robin dans le dernier épisode, la place était faite pour que Tuck prenne un plus grand rôle la saison suivante. Jusqu'à ce que la BBC annonce que la série ne serait pas reconduite. “C'est [parce que Tuck aurait eu le premier rôle qu'] ils l'ont jeté à la poubelle,” dit en rigolant Harewood, avant de suggérer qu'avec la crise économique actuelle, Robin des Bois ne sera pas la seule série à disparaître des écrans de télévision.

Le manque d'exploration du personnage de Tuck et la fin de la série sont peut être plus douloureux à Harewood à cause de la petite tempête créée par le choix d'un Frère Tuck noir. La réinvention d'un rôle traditionnellement vu comme un homme blanc obèse et chauve a provoqué un scandale dans certaines parties du public. Harewood, cependant, a expérimenté la réaction du public ciblé par la chaîne, découvrant que, en réalité, la couleur de sa peau ne fait pas de différence pour eux: “Je déposais ma fille à l'école et l'expression sur le visage de ses gamins – noirs, blancs, indiens, polonais, portugais, espagnols – ils étaient fous. “C'est Frère Tuck!” Ils courraient vers moi et j'ai signé des autographes sur leurs cahiers. Ils étaient tout simplement heureux et j'ai pensé ‘Pourquoi s'inquiètent-ils que Frère Tuck soit noir ? Ils [les enfants] s'en fichent.’”

Harewood a dit dans le passé que pour les acteurs noirs anglais pour faire quelque chose à al télévision et au cinéma ils devaient traverser l'Atlantique et aller aux États-Unis, où l'ont fronce rarement les sourcils quand on choisit un acteur noir pour le rôle principal. “Ils ont eu un président noir 24 ans avant d'en avoir un vrai,” dit-il, soutenant sa revendication. “Il n'y a encore qu'un seule série à la télévision [britannique] qui ait un noir dans le rôle principal, et c'est Les Arnaqueurs VIP/Hustle avec Adrian Lester.”

Alors que l'Amérique est toujours dans la tête d'Harewood – surtout avec les rumeurs de transfert de The Mountaintop [à Broadway] – il montre rapidement que beaucoup de choses ont changé depuis qu'il a commencé à jouer, en devenant le premier Othello noir au National Theatre pas plus tard qu'en 1997. “Plus personne ne se maquille en noir aux États-Unis pour jouer Othello depuis 1943,” remarque-t-il [le personnage d'Othello n'est pas européen, s'il est traditionnellement noir, il peut également être maghrébin].

“J'ai été un pionnier dans une certaine mesure, mais il y en a eu d'autres avant moi; la génération de Norman Beaton, celle d'après de Gary McDonald et Robby Gee. Tous de leur propre façon ont fait avancer les choses. Quand nous sortons de l'école de théâtre nous sommes heureux de jouer le troisième soldat sur la gauche dans la RSC [Royal Shakespeare Company, compagnie théâtre jouant les pièces du dramaturge anglais]. C'est génial qu'une génération après moi, ceux comme Chiwetel [Ejiofor, Love Actually, Inside Man], Adrian Lester [Le Jour d'Après, Les Arnaqueurs VIP] et David Oyelowo [MI-5], soient à Hollywood; le seul inconvénient est que nous devons aller en Amérique pour le faire [avoir des rôles intéressants et du succès].”

C'est peut-être un peu présomptueux de comparer Harewood à King. Il n'organise pas des rassemblements ou ne prêche pas à des centaines de personnes, mais à sa manière il brise des barrières, utilisant son talent, son succès et son corps pour aider ses compagnons.

Peut-être que King a eu un plus grand effet sur lui qu'il ne s'en soit jamais rendu compte. Quand il était adolescent à Birmingham il a dû lire le célèbre discours de King “I have a dream” dans une représentation scolaire. Le pasteur réapparaît lors de son passage à vide et maintenant il est une nouvelle fois avec lui à West End. “Chaque fois que j'entends ce discours,” dit Harewood, “j'ai des frissons dans le dos. Je me sens comme si il était avec moi depuis très longtemps. J'espère qu'il est satisfait de ce que je fait.”

> Lire l'interview en version originale